la solitude du dirigeant

Parfois le dirigeant est dans une tour d’ivoire qu’il a construite lui-même ou qu’on a plus insidieusement bâtie pour lui. Dans ce cadre comment comprendre et comment sortir de la solitude du dirigeant ?

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Umanz – Comment se manifeste la solitude du dirigeant ?

Valérie Beyssade : La solitude du dirigeant est très fréquente. Elle vient de la position haute résultant de sa fonction. Il ne faut pas oublier que le dirigeant est également enfermé dans une responsabilité légale qui renforce sa solitude. Par la suite il peut lui même avoir tendance à s’enfermer dans une posture pétrie de certitude qui est l’un des attributs qu’on assigne trop souvent au rôle de leader.

Il y a solitude et solitude. Car quand ce n’est pas lui, ce sont les autres qui le placent sur un piédestal qui peut être un enfermement. En ce sens les autres le créent et le projettent dans une sorte d’isolement. Le statut, la hiérarchie, en distinguant, isolent et mettent à part.

C’est pour cela que lorsque l’on aborde la solitude du dirigeant il est important de distinguer : “ce que je fais moi” et “ce que les autres font.”

L’autre impensé est que souvent, la solitude du dirigeant se manifeste lorsqu’il faut prendre des décisions difficiles, que les autres se déchargent de la responsabilité et qu’il faut trancher. Souvent dans mon accompagnement j’aide les dirigeants à exprimer leur doutes et leur droit à ne pas avoir de réponses. Un droit qu’il n’osent pas afficher en entreprise.

La solitude du dirigeant résulte enfin d’une hyper-occupation, le business du business, qui fait que le dirigeant n’a tout simplement plus le temps de s’occuper, s’ouvrir et écouter les autres. Elle peut également être l’apanage des High Potential qui ne trouvent pas, intellectuellement, d’interlocuteurs avec qui interagir.

 

Umanz- Y-a t-il un avantage dans la solitude du dirigeant ?

Valérie Beyssade : Il y a une solitude choisie et assumée, qui n’est pas un enfermement et qui permet de se relier à soi-même.

Ce sont des moments de recul qui permettent de se demander ce qui est essentiel, prendre de la distance stratégique pour savoir se mieux se mettre au service du collectif. Il ne faut pas oublier que les grands artistes peignent seuls et certaines personnes ont besoin d’être seuls pour produire. Il importe parfois d’échapper aux affres de la réunionite, de la pensée de groupe et se mettre en position de créer et d’imaginer.

L’un des attributs des grands leader est d’ailleurs de savoir naviguer entre le “seul” et “l’avec”

 

Umanz- Comment sortir de la solitude du dirigeant ?

Valérie Beyssade : Il faut d’abord le vouloir concrètement ce qui constitue déjà une première étape. Il faut ensuite accepter de se dépouiller de son masque et de son armure qui sont autant de protections et qu’il faut savoir ôter. Cela implique une forme de dévoilement et de vulnérabilité qui n’est pas si fréquente.

On peut parfois s’en défaire en échangeant entre pairs ou en pratiquant un hobby ou une activité permettant de transcender sa fonction et son milieu auprès de gens radicalement différents.

Au-delà de ces exutoires externes, le dirigeant peut, au sein même de son entreprise apprendre à dire “j’ai besoin de vous” ce qui est un aveu de faiblesse et de fragilité mais qui constitue un appel au collectif et aux ressources de l’autre. Cette sortie de la solitude implique de porter une attitude authentique et un regard empathique sur les autres qui sort du “Moi tout seul” et invite ses pairs et ses équipes à se mettre en capacité.

Je note que cette notion de partage et d’attention à l’autre est déjà très présente parmi les fondateurs de startups.

 

Umanz- Qu’est-ce que cela implique au niveau des équipes et collaborateurs ?

La solitude du dirigeant n’est pas unilatérale. Côté équipe, il faut avoir le courage de passer la barrière, le courage d’aller dire les choses telles qu’elles sont. Cela implique une capacité d’accueil. S’autoriser à penser qu’on a en face de soi un être humain avec très souvent une faille intérieure.

La sortie de l’isolement se fera souvent en travaillant en inter-dépendance et en reconnaissant les qualités des uns et des autres pour mieux se connecter.

Dans ces situations, l’intention de faire progresser les choses, le pouvoir de la parole, bienveillante et “bien-disante” compte énormément.

Je note par ailleurs que les boites qui fonctionnent bien sont souvent des tandems, des trios assortis d’un collectif fort.

J’encourage enfin le dirigeant à aller chercher du feedback d’être capable d’oser des questions désarmantes. Je lui dis : “Va demander aux gens ce qu’ils ressentent en ta présence !”

 

Je suis persuadée que l’antidote de la solitude est dans le lien.

 

Interview de Patrick Kervern, fondateur de UMANZ, avec des éléments de réponses et des réflexions proposés par Valérie Beyssade, Coach de dirigeants depuis presque 20 ans.